Évolution du trafic aérien et maritime en Corse entre 2001 et 2021 : les grandes tendances
Identifier les grandes tendances dans le transport de passagers sur les 20 dernières années.
Éléments introductifs
La Corse n’a évidemment pas échappé à la décision du Président de la République de confiner le pays en mars 2020. En mettant l’ensemble du pays à l’arrêt pendant 2 mois, la totalité des ports et aéroports ont arrêté leurs rotations à l’exception d’évacuation d’urgence et pour raisons impérieuses. Le trafic aérien et maritime a été sévèrement impacté, jusqu’à la reprise progressive lors du premier déconfinement fin juin 2020. Il y avait des raisons à croire que par son insularité, la Corse serait un territoire encore plus vulnérable à la crise sanitaire et économique qui a suivi. Toutefois, la saison touristique, malgré un décalage, a pu se dérouler dans l’euphorie de la fin de la première vague épidémique. L’année suivante, et malgré un second et un troisième confinement, la saison touristique dans l’île s’est passée presque dans la normalité, l’entrée sur l’île étant conditionnée à la présentation d’un pass sanitaire ou vaccinal à l’embarquement et les restrictions y ont été moins importantes par rapport à 2020.
Le tourisme et le BTP sont les deux principales industries de l’île. L’Agence de Tourisme de la Corse (ATC) estime que le tourisme représente environ un tiers du PIB de la Corse[3]. C’est donc une région qui est fortement dépendante du tourisme. À défaut de diversifier les industries, tout choc négatif sur la demande de transports aériens et maritimes pendant la haute saison (de juin à fin août) représente une menace pour l’emploi et la santé économique sur le court terme ; à long terme, se pose la question des risques de persistance du choc économique sur le taux de chômage, la défaillance des entreprises, la pauvreté et l’exclusion sociale. Le tourisme est la force et en même temps le talon d’Achille de l’économie corse.
L’activité d’analyse statistique et la veille apparaissent alors comme indispensables pour éviter de subir avec impuissance les chocs externes. Mesurer, analyser, identifier les tendances de long terme, anticiper et prévoir sont les lignes directrices du suivi de l’industrie touristique.
Cette note présente l’évolution du nombre de passagers d’origine française et étrangère, aériens et maritimes, à destination de la Corse entre 2001 et 2020. L’objectif est de dégager par la désaisonnalisation des données mobilisées et la construction de graphiques les principales tendances en matière de transports maritimes et aériens sur les 20 dernières années. Une base de données a été construite depuis les flashs transports de l’Organisme régional des transports de la Corse (ORTC) disponibles depuis le site de l’ATC. Comme les données ne permettent pas distinguer entre le trafic à raison purement touristique et le trafic résident, les deux seront confondus. Les données agrégées depuis les flashs transports[1] permettent d’obtenir 9 séries temporelles saisonnalisées. Aussi, les données ne permettent pas de décomposer, au sein de la demande touristique, la part d’arrivants qu’on pourrait qualifier de diaspora corse et la part purement touristique.
Les séries temporelles sont les suivantes :
- Le nombre d’arrivées de citoyens Français en Corse par bateau
- Le nombre d’arrivées de citoyens Français en Corse par avion
- Le nombre d’arrivées de citoyens étrangers en Corse par bateau
- Le nombre d’arrivées de citoyens étrangers en Corse par avion
- Le total d’arrivées de citoyens Français
- Le total d’arrivées de citoyens étrangers
- Le total d’arrivées de citoyens Français et étrangers en avion
- Le total d’arrivées de citoyens Français et étrangers en bateau
- Le total d’arrivées de citoyens Français et étrangers
Ainsi, il est possible d’observer l’évolution du trafic maritime et aérien vers la Corse de différentes façons au niveau désagrégé (Français/étrangers, avions/bateau, etc.) et au niveau agrégé (total bateau, total avion, total français et étrangers peu importe le moyen de transport).
Autour de la saisonnalité des données de transports
Les données des séries temporelles de transports sont influencées par des effets saisonniers et de calendrier, surtout pour la Corse du fait de la spécialisation de l’île dans l’industrie du tourisme, qui se produit tous les ans à la même période. Ces effets de saisonnalité peuvent entraîner dans les données des changements qui surviennent au même moment et sont d’à peu près la même importance chaque année.
Comme on le voit dans la figure 1, la saisonnalité des données sur l’arrivée de passagers en Corse ne nous permet pas d’appréhender les grandes tendances, ni ne nous permet d’identifier (à l’exception du choc de la crise du covid) les moments de bascules des cycles économiques.
La désaisonnalisation des données n’est pas toujours requise, notamment pour les séries temporelles qui ne présentent pas d’effets saisonniers ni de calendrier. Cependant, les données de trafic aérien et maritime sont hautement sujettes à la saisonnalité. La présence d’une influence saisonnière dans une série peut altérer les caractéristiques de la série en la rendant plus difficile d’interprétation, notamment au niveau des fluctuations d’une période à l’autre. Les données saisonnalisées masquent les variations qu’on pourrait attribuer au cycle économique ou à des chocs exogènes (confinements, mouvement de grève dans les transports, tempête qui cloue les avions au sol et bloque les ports, etc.). La désaisonnalisation élimine des données « l’effet saisonnier » et rend notre série temporelle plus lisible pour évaluer les changements de conjoncture économique au cours de la période.
Désaisonnaliser les données revient à décomposer les séries temporelles à notre disposition en quatre composantes :
1. la tendance-cycle,
2. les effets saisonniers,
3. les effets de jours ouvrables et de jours fériés mobiles,
4. la composante irrégulière.
Les séries désaisonnalisées correspondent aux séries dont on a supprimé les effets, soit la tendance-cycle et la composante irrégulière.
Ainsi, les 9 séries temporelles disponibles dans la base de données ont été désaisonnalisées par Kyrn’Economics depuis le logiciel R.
Une augmentation sur la durée du nombre d’arrivées… interrompue par la crise sanitaire
Entre 2001 et 2021, les arrivées aériennes et maritimes, nationales et étrangères en Corse ont augmenté par palier. Grâce à notre lissage par régression logistique, on observe que les arrivées entre 2000 et 2005 ont été stables autour de 400,000 arrivées mensuelles en données désaisonnalisées. À partir de 2005, on constate une intensification du trafic qui se poursuit jusqu’en 2010 pour se stabiliser autour de 500,000 arrivées mensuelles en données désaisonnalisées. De 2010 à 2015 la Corse enregistre encore une période de stagnation qui se maintient jusqu’en 2015. Entre 2015 et 2020, on constate une nouvelle période d’augmentation du nombre d’arrivées totales qui s’élève à un peu plus de 600,000 arrivées en données désaisonnalisées. Cette augmentation peut être en partie attribuable à la politique d’internationalisation de la demande touristique et de promotion de la Corse comme destination touristique par la Compagnie régionale AirCorsica. Enfin, la crise sanitaire se remarque aisément sur le graphique. On observe très bien une chute aussi rapide qu’abrupte avec une quasi-extinction des flux aériens et maritimes, limités aux raisons impérieuses. On peut ensuite voir le phénomène de rattrapage avec la reprise des liaisons aériennes et maritimes fin 2020 et au cours de 2021. Les données s’arrêtant fin août 2021, on observe que la reprise semble se faire assez rapidement, les dernières données enregistrées laissent présager une convergence à court terme avec les données d’avant crise. Bien sûr, cette affirmation ne tient que dans le cas d’une évolution toujours positive de la crise sanitaire et en l’absence d’un autre choc négatif (potentiels effets négatifs sur la demande de tourisme du fait de l’augmentation des prix des carburants, de l’énergie, etc.).
Le développement du trafic aérien parvient à surclasser le trafic maritime
Lorsqu’on décompose le total des arrivées par type de transport, on remarque qu’au cours de la période, le trafic aérien a connu une augmentation continue de 2005 jusqu’à la crise du covid avec une accélération de la tendance à l’augmentation du trafic aérien de 2015 jusqu’au premier confinement de mars 2020. Ainsi, entre 2001 et 2017, le trafic aérien désaisonnalisé a été multiplié par 2, passant de 200,000 arrivées mensuelles à 400,000. Les évolutions actuelles de la crise sanitaire et la reprise économique laissent présager un retour à la normale sur le court terme. En effet, les dernières données montrent une convergence très rapide vers la tendance d’avant crise.
En revanche, on observe une relative stagnation marquée du trafic maritime. Après une augmentation du trafic entre 2005 et 2010, passant de 200 000 à 250 000 arrivées mensuelles désaisonnalisées, le trafic maritime décline légèrement entre 2010 et 2015, il repart ensuite à la hausse de 2015 pour atteindre son niveau de 2010 au moment de la crise sanitaire. À contrario du trafic aérien, le processus de rattrapage vis-à-vis de la tendance d’avant crise semble moins robuste que celui du trafic aérien. L’observation des données sur le court et moyen terme éclairera plus sur un potentiel écart par rapport à la tendance d’avant crise. On peut faire l’hypothèse que du fait de la crise, certains usagers se détournent du maritime pour l’aérien.
En mettant nos deux séries en perspective, on remarque que jusqu’en 2015, le trafic maritime était plus important que le trafic aérien. Depuis 2015, le trafic aérien supplante le trafic maritime en nombre d’arrivées, notamment du fait du phénomène d’internationalisation initié par Aircorsica et encouragé par la Collectivité de Corse. La crise sanitaire aura bien évidemment fortement impacté les deux secteurs mais les transports aériens semblent se relever plus rapidement que les transports maritimes.
La demande de transport est principalement guidée par les voyageurs nationaux …
La décomposition des arrivées par avion et par bateau par nationalité nous permet d’avoir une vision plus fine des tendances sur les vingt dernières années. Les données sur la période n’étant pas disponibles dans leur entièreté en décomposition par nationalité de l’arrivant, nous nous sommes repliés sur une décomposition Français/étrangers. À titre informatif, l’Agence de Tourisme de la Corse observe que 32% des touristes étrangers viennent d’Allemagne, 27% d’Italie, 17% des pays du Benelux, 14% de Suisse et 10% d’autres pays[1]. Aussi, les données décomposées par nationalité ne sont plus disponibles après de juillet 2020. Les graphiques qui suivent ont pour limite de ne pas inclure la deuxième saison touristique marquée par la crise sanitaire. Une évaluation du processus de reprise ne sera donc pas possible comme il l’a été pour les précédentes séries.
De 2001 jusqu’à la crise du covid, les arrivées touristiques françaises ont continuellement augmenté pour passer de 300,000 arrivées mensuelles en série désaisonnalisée à 450,000 au cours de 2018. Des données dont nous disposons de la saison touristique 2020, le processus de reprise côté arrivées françaises est dynamique : malgré les très fortes restrictions et le choc psychologique de la première vague épidémique, les arrivées en juillet 2020 s’élèvent à 300 000 en données désaisonnalisées. En somme une reprise au ¾ côté Français.
… Mais il y a un intérêt croissant pour la Corse de la part des touristes étrangers
Côté étranger, les arrivées sont bien évidemment moins dynamiques que côté national. En moyenne, sur la période les arrivées étrangères représentent environ 20% des arrivées totales. L’augmentation des arrivées françaises s’est conjuguée sur la période avec une augmentation du nombre d’arrivées de l’étranger, où le trafic étranger a augmenté de 50% entre 2001 et mars 2020. On constate aussi bien côté Français qu’étranger une accélération de l’augmentation des arrivées de 2016 à 2020. Si la reprise a été dynamique côté Français dès la saison touristique de 2020, les multiples restrictions de déplacement, les quarantaines et les recommandations de ne pas voyager ont fortement limité le redémarrage de l’industrie touristique corse côté demande étrangère. Le graphique parle de lui-même.
Stabilité des arrivées étrangères par bateau et internationalisation récente des arrivées par voie aérienne
La décomposition des arrivées étrangères par bateau et par avion met en lumière l’importance des liaisons maritimes pour expliquer le nombre d’arrivées totales étrangères. À l’exception de 2010, les arrivées étrangères par avion sont d’une faible ampleur jusqu’à 2013, où une observe une augmentation des arrivées par voie aérienne suivi d’une accélération à partir de 2015 jusqu’à la crise sanitaire qui remet littéralement les compteurs à zéro. Cette augmentation à partir de 2013 suivie de l’accélération à partir de 2015 peut encore s’expliquer par l’amélioration de l’offre internationale vers la Corse par les compagnies aériennes.
Quant aux arrivées par voie maritime, elles sont restées en moyenne assez stables de 2001 à 2017. On remarque encore une accélération du nombre d’arrivées étrangères par voie maritime qui subit un coup d’arrêt au moment de la crise sanitaire.
L’absence d’effet de la crise de 2008 sur les arrivées touristiques
Pour l’ensemble des séries temporelles étudiées, il est intéressant de remarquer que la Grande Récession (2008) n’a pas eu dans l’immédiat de la crise d’effets négatifs notables sur les arrivées touristiques, qu’elles soient maritimes, aériennes, étrangères ou nationales.
Les faits à retenir
Cette analyse, qui se veut très descriptive de l’évolution des arrivées par voie aérienne, par voie maritime et par nationalité a permis de mettre en exergue plusieurs faits stylisés sur la demande de transport à destination de la Corse. D’autres travaux de prévision ou d’analyse plus poussés peuvent être réalisés à partir de ce jeu de données. Encore une fois, la collecte et l’analyse de données sur les industries stratégiques de la Corse sont primordiales pour éclairer le citoyen et le décideur politique. Par exemple, il serait possible d’étudier la persistance des chocs économiques sur le nombre d’arrivées touristiques dans l’île.
Résumons :
1) Globalement, les arrivées françaises et étrangères entre 2001 et mars 2020 ont continuellement augmenté avec une accélération entre 2017 et mars 2020.
2) Les arrivées par voie aérienne ont continuellement augmenté pour surclasser le nombre d’arrivées par voie maritime à partir de 2015.
3) Le nombre d’arrivées par voie maritime atteint son pic autour de 2010, pour finalement diminuer légèrement et se stabiliser jusqu’à la crise covid.
4) La crise de 2008 ne semble pas avoir eu d’effet négatif majeur sur le nombre d’arrivées en Corse, et ce, peu importe le type de transport.
5) Malgré la crise sanitaire, le nombre d’arrivées totale converge vers son niveau avant-crise, avec un rebond plus marqué côté arrivées françaises du fait de l’absence d’effet frontière.
6) Le développement de l’offre de transport vers la Corse courant des années 2010 explique l’augmentation du nombre d’arrivées étrangères par voie aérienne.
7) Les arrivées en provenance de France continentale représentent la grande majorité des arrivées totales.
[1] Source : https://dre20.pagesperso-orange.fr/ORTNET/Publications/Flash.htm
[2] Source : https://www.corsica-pro.com/fr/observatoire/chiffres-cles
[3] Il faut toutefois souligner que ce chiffre, souvent avancé dans les médias et par le personnel politique ne saurait refléter clairement la poids du tourisme dans l’économie corse. En effet, c’est le ratio dépenses touristiques/PIB qui donne le chiffre souvent avancé. Or, c’est la valeur ajoutée qui compte pour mesurer le véritable poids d’une industrie dans l’économie dans son ensemble « Les agrégats liés aux dépenses touristiques et à la consommation du tourisme ne devraient pas être exprimés en parts du PIB ou de la consommation finale des ménages au niveau agrégé puisque leur couverture diffère » (OCDE, 2008). Le chiffre ici avancé sert plus d'ordre de grandeur potentiel que de résultat absolu. Il convient donc de le considérer avec des pincettes.